Une distinction de l’Éducation nationale : 2 exemples d’avis défavorable

Cet article est écrit dans le cadre du challenge UPro-G (voir ici) ; thème imposé du mois d’avril 2025 : une distinction de l’Éducation nationale.

Chacun peut se voir décerner, un jour, une distinction honorifique pour service rendu à l’État. Nos instituteurs n’échappent pas à cette règle.

Les différentes distinctions

Plusieurs types de distinction existent.

Les palmes académiques sont une des plus prestigieuses. Elles ont été créées par Napoléon Ier en 1808 (décret du 17 mars), réservées au départ aux membres de l’université, puis étendues à tous ceux œuvrant au développement des connaissances.

À côté, on trouve aussi la médaille de l’Instruction publique, avec trois grades : la mention honorable, la médaille de bronze, puis la médaille d’argent. Elle existe depuis 1837-1838 (avec des variantes en fonction de ses évolutions).

Les propositions à ces distinctions sont faites au préfet, qui transmet au ministère de l’Instruction publique après avis pris auprès de l’inspecteur d’académie. Cet avis n’est malheureusement pas toujours favorable. Voici deux exemples.

M. LACROIX se voit refuser les palmes académiques

M. LACROIX était instituteur à La Neuville-en-Hez, dans l’Oise. Je n’ai pas retrouvé son dossier de carrière et je n’ai pas beaucoup d’informations sur lui. Cependant, en 1885, à la suite d’une nouvelle proposition pour les palmes académiques (les précédentes n’ayant pas portées leurs fruits), le sous-préfet de Clermont écrit :

« M. LACROIX, ancien instituteur demeurant à La Neuville-en-Hez, proposé pour les palmes académiques, est un homme d’une honorabilité parfaite.

Mais tout le monde s’accorde à reconnaitre que sa conduite est en opposition complète avec le gouvernement qui nous régit.

Des démarches ont déjà été tentées il y a quelque temps, pour lui faire obtenir les palmes académiques. Le parti réactionnaire, auquel il appartient, a renouvelé sans doute aujourd’hui ses tentatives.

En ce qui me concerne, je suis d’avis que le gouvernement de la République ne saurait accorder à M. LACROIX, une récompense qui serait un encouragement pour le parti réactionnaire. »

Le tout sous couvert de confidentialité. On trouve même, dans le dossier de demande conservé aux archives départementales de l’Oise, deux télégrammes codés !

Un des télégrammes codés, en partie décodé, trouvé dans le dossier de M. LACROIX (AD60, 1Tp 392)

Dans un autre courrier du préfet de l’Oise au ministre de l’Instruction publique, M. LACROIX est désigné comme un « adversaire du gouvernement ».

De fait, pour des raisons éminemment politiques, il n’est pas donné suite à la proposition et M. LACROIX n’obtient pas les palmes académiques tant convoitées.

Prosper Florentin DELARUELLE n’aura pas la médaille d’argent de l’Instruction publique

Prosper Florentin DELARUELLE est l’instituteur qui reste en poste le plus longtemps dans mon petit village de Dieudonne (Oise), au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle-début du XXe siècle.

Il y est nommé par arrêté du 6 octobre 1866, en remplacement de Constant SIMON, mis en congé de disponibilité à sa demande. Sur sa fiche de présentation remplie par l’inspecteur d’académie, il est précisé qu’ « il sera bien accueilli à Dieudonne à cause de ses qualités ».

En janvier 1904, le conseiller général de l’Oise envoie un courrier au préfet mentionnant la liste des titres de cet instituteur, « pour lui faire obtenir, avant qu’il prenne sa retraite, la médaille d’argent ». Cette demande est, en outre, appuyée par le sous-préfet de Senlis.

En 1905, le maire de Dieudonne, M. QUONIAM, renouvelle cette demande et fait un courrier dans le même sens, au nom du conseil municipal. On apprend ainsi que Prosper DELARUELLE, « fermement républicain », a déjà été distingué le 10 juillet 1892 avec la mention honorable, puis le 10 juillet 1902 avec la médaille de bronze. Il a, de plus, obtenu la médaille d’argent de la Société pour l’instruction élémentaire en 1892.

Ses autres réalisations en faveur de l’enseignement et du développement de la connaissance y sont détaillées :

  • tenue d’un cours d’adultes pendant 37 hivers ;
  • fondation de la bibliothèque scolaire en 1868 ;
  • fondation de la caisse d’épargne scolaire en 1875 ;
  • conférences aux familles dans le cadre de la Mutualité scolaire ;
  • mention honorable pour services rendus à la Mutualité scolaire en 1902 ;
  • membre du conseil d’administration de la Société de secours mutuels et de retraite du canton de Neuilly-en-Thelle ;
  • médaille de bronze et médaille de vermeil aux expositions scolaires de Beauvais en 1879 et 1885 ;
  • contribution à la construction de la maison d’école ;
  • fondation d’une caisse des écoles en 1883 ;
  • médaille d’argent de la Société des agriculteurs de France pour son enseignement agricole en 1884 ;
  • création de champs d’expérience agricole ;
  • 2e pris au concours agricole scolaire à Chambly en 1892 ;
  • trésorier de l’œuvre de l’orphelinat primaire, diplôme d’honneur en 1895 ;
  • délégué communal pour le Syndicat de défense agricole ;
  • plus de 50 de ses élèves ont obtenus le certificat d’études primaires.

Malgré tout cela, l’avis de l’inspecteur d’académie n’est pas favorable :

Extrait de l'avis de l'inspecteur d'académie (AD60, 1Tp 492, 23 avril 1904)

« M. DELARUELLE est un maître estimable qui s’acquitte de sa tâche avec bonne volonté, mais sans témoigner d’un zèle, ni d’une aptitude vraiment remarquable. Il est entouré, dans sa commune, de sympathies très réelles, mais qui vont autant, sinon plus, à l’homme qu’à l’instituteur. […] L’attribution de la médaille d’argent, qui est réservée aux instituteurs d’élite, serait hors de proportion avec le mérite de M. DELARUELLE. D’autres candidats, qui dirigent des écoles importantes, se désignent davantage par leurs titres au choix de l’administration pour cette récompense ».

Malgré son parcours exemplaire, il n’obtient pas la médaille d’argent, étant jugé trop peu zélé et n’officiant pas dans une école importante. Comme consolation, il obtient, en 1908, l’honorariat, qui consacre les bons services dans l’enseignement public aux instituteurs admis à la retraite.

Conclusion

À la lecture de ces deux dossiers, il apparaît que l’obtention une distinction honorifique, même de l’Éducation nationale et qui devrait s’appuyer sur le mérite, reste alors un acte politique : il ne faut pas être en opposition avec le gouvernement en place et on note une inégalité envers les instituteurs de petites communes, qui font ce qu’ils peuvent avec leurs maigres moyens, et ceux d’écoles plus importantes.

Sources et bibliographie :

  • Archives départementales de l’Oise, sous-série 1T (cotes : 1Tp 392, 1Tp 395, 1Tp 492) ;
  • MERGNAC (Marie-Odile). – Retracer la carrière d’un instituteur : quelles sources ? quelles méthodes? Paris : Archives & culture, 2011. 80 p.

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